Danah Boyd lors Symposium pour l’enseignement et l’apprentissage avec la technologie le 18 avril dernier donnait une conférence Vivre et apprendre avec les médias sociaux ! Je trouvais son titre explicite et correspondant bien à la situation actuelle.
J’affirme que les dangers d’internet et du web 2.0 sont déjà un débat récurrent et poussiéreux. Voilà, le décor est planté 🙂
Les réseaux sociaux ne peuvent plus être négligés
Il n’y a pas d’un côté le Web, vu comme un terrain de jeux, et de l’autre l’enseignement. La nouvelle donne globale telle que redéfinie par les réseaux sociaux: Facebook, blogues, YouTube et consort ne peuvent plus être négligés.
Ce n’est pas moi qui le dit. Ce sont les Anglais qui souhaitant que leurs universités évitent la fracture numérique ou encore que les étudiants et le personnel ne soient déphasés qui le disent ! Plus exactement, c’est dans le rapport HE in a Web 2.0 World publié par le Higher Education Academy et le JISC. Ah oui, ce sont nos amis Canadiens qui parlent de cette étude, évidemment. Merci Pierre Chicoine – biblio-fusion)
D’ailleurs nos voisins européens vont encore plus loin dans leur réflexion : et si l’on autorisait les candidats au bac à se connecter au Net ? Voilà la question à laquelle au Danemark on répond chiche, arguant qu’il vaut mieux parier sur les capacités d’analyse et de synthèse des bachelier que de leur demander de mémoriser des données déjà facilement disponibles sur Internet.
Des réponses aux risques évoqués à l’introduction du Web 2.0 dans les salles de cours
Adaptons enfin notre enseignement aux pratiques sociales des adolescents.
Les arguments avancés à l’encontre des médias sociaux sont grosso modo les mêmes que ceux qui ont été employés lors de l’introduction d’internet, du courrier électronique, des blogs… J’ai l’impression au sein des entreprises et maintenant dans le cadre universitaire, à chaque évolution de me battre comme Don Quichotte devant ses moulins ! C’est fatiguant à force 🙁 Bon, une bonne fois pour toute rappelez vous ce que vous disiez à chacune de ces étapes ! Les dangers annoncées ! L’importance de ces « évolutions »… Vous les avez pourtant acceptées une à une.
Oui, le web 2.0, les outils sociaux, les médias sociaux peuvent stimuler la collaboration et la productivité ! Les risques ? Donner plus d’autonomie et de responsabilité aux étudiants ! Dramatique, non ? Mais cela pose le tracas de la relation enseignant-étudiant ! Sommes nous le clan majestueux des enseignants à opposer les misérables étudiants ?
Autre souci souvent avancé : notre temps de travail (je parle côté enseignants) ! Mais, depuis longtemps, cette notion de temps de travail nous l’avons perdue. J’écrivais moi-même en juin 2007 : Et si les enseignants faisaient du e-learning et des TIC sans le savoir ?. Y a-il une différence entre recevoir un courrier électronique un dimanche soir et recevoir un message de Twitter à la même heure ? Nous avons la liberté pour l’un ou l’autre de répondre dans la minute ou de laisser « tomber ».
Petite anecdote, la seule fois qu’un étudiant m’a dérangée un dimanche à 9 h du matin, c’était lorsque j’utilisais les groupes de discussion ! L’étudiante s’était trompée de liste pour l’envoi de son message. Maintenant, si une telle situation arrivait, je recevrai un tweet ou un message dans Facebook et ne serait pas réveillé 😉
Passage obligatoire : l’aspect mélange de la vie privée et de la vie publique dans ces réseaux. Oui, lorsque nous sommes « amis » avec nos étudiants dans les réseaux sociaux, nous connaissons ce qu’ils veulent bien dévoiler de leur vie privée !Mais, pensez vous si je prends mon cas qu’avec mes 664 amis dans Facebook je fasse une fixation sur mes étudiants. C’est à peine parfois si je consulte leur profil ! Par contre, cela ne dérange pas certains enseignants de rechercher si les étudiants n’ont pas créé un groupe « secret » sur le net afin de surveiller ce qu’ils peuvent dire en cachette !
Enfin, la sacro-sainte entité : notre université… Nous avons mis en place des outils dans notre université, tout doit rester au sein de notre université ! J’ai même entendu dire : «en entreprise, lorsque l’entreprise mets des outils à la disposition de ces employés, ceux-ci les utilise». Seulement, les entreprises mettent des outils adéquats à disposition des salariés, aurais-je tendance à répondre. L’utilisation d’une plate-forme d’elearning comme outil de communication, d’échange et de stockage à durée de vie limité sans faire de elearning n’est pas pour moi l’outil adéquat !
De nouveaux rapports enseignants-étudiants
Aujourd’hui, les jeunes grandissent dans un monde où les médias sociaux sont partout présents et jouent un rôle important. Que l’on soit pro ou anti-médias sociaux, c’est un fait ! Et, ne nions pas la réorganisation de la circulation de l’information par ces médias sociaux.
Les médias sociaux relient les éducateurs et les apprenants d’une nouvelle façon et rien ne sert de se camoufler dans une réaction de panique qui consiste généralement à diaboliser les médias sociaux !
Les enseignants ont pourtant un rôle essentiel à jouer dans ce contexte : aider les étudiants à utiliser les médias sociaux. Apprendre aux étudiants à vivre dans notre société moderne. Mais, pour cela nous ne devons pas rejeter ce qu’ils font en disant par exemple : «c’est du domaine privé !». Ouvrons le dialogue. N’hésitons pas à leur demander de nous enseigner certaines technologies et commençons à exploiter ses nouveaux outils et à co-participer dans la vie quotidienne.
Évidemment dans ce contexte, il est nécessaire de reconsidérer notre position vis-à-vis du pouvoir de l’enseignant. Nous devons réapprendre à apprendre et à évoluer avec les changements autour de nous chaque jour.
Reste à définir quand et où la technologie est utile dans la salle de classe. Cette démarche doit être pensé pédagogiquement et il est nécessaire de comprendre au préalable comment on utilise ces médias sociaux dans la vie quotidienne avant de les apporter dans la classe. J’ai souvent mis une année d’usage personnel avant d’introduire ses outils dans mes enseignements. Ensuite, à nous d’en découvrir les innovations possibles !
Notre réflexion peut se bâtir autour des nouveaux comportements des étudiants sur la recherche d’informations et le partage avec leurs amis et leurs pairs.
Des universitaires ou enseignants tentent des choses pendant nos temps d’errances… ils prennent des longueurs d’avances sur nous ! Je prends l’exemple extrême de Twitter, mais il est peut-être le plus significatif. Combien d’enseignants universitaires sont dans Twitter ? Combien l’utilisent en cours ? En France, je connais un ou deux enseignants du supérieur qui l’utilisent ! (d’autres doivent exister, mais ils me sont inconnus). La vidéo How to Use Twitter in the Classroom à fait le tour de tous les officionados de l’éducation 2.0 ! Twitter, une salle de classe étendue pourra vous apporter également quelques éclairages.
Un parallèle avec l’entreprise peut-être fait Le paradoxe du web 2.0 au travail: oui pour mes clients, non pour mes employés…, il suffit de remplacer entreprise par enseignant comme dans la phrase : Les entreprises ont peur des nouveaux outils sociaux sur internet ; employé par étudiant ! Édifiant !
En complément
Pour finir cette partie, je vous conseille la lecture du philosophe Bernard Stiegler lors d’un entretien pour la revue Mediadoc : «Les élèves d’aujourd’hui développent ces pratiques, et sont en avance sur leurs professeurs, sur un mode empirique et nécessairement naïf, qualificatif qui n’a rien de péjoratif ici. Le retard du professeur peut devenir un point de repère s’il donne à penser la question du retard et donc le processus qui l’a produit. Mais si ce retard n’est pas pensé, cela devient un décrochage entre le professeur et ses élèves, c’est-à-dire aussi entre deux générations. Il y a donc trois questions à traiter : la formation des enseignants sur l’importance des supports, l’industrialisation des activités informationnelles, la production et le contrôle des métadonnées.»
et plus loin : «Sur les technologies numériques, les jeunes en savent souvent plus que nous, cela fait partie de la structure même de ces technologies, il faut l’accepter et même s’en réjouir. Cela veut dire qu’il faut inventer une nouvelle dialectique au sens de Platon : quand l’élève se pose une question, cela nourrit le maître et le fait réfléchir. La dia-lectique, c’est très participatif : c’est la base même du dia-logue. Le cours doit intégrer cet espace dia-logique. À l’époque où les technologies du web 2 et du collaboratif se développent, il faut en tenir le plus grand compte. Les technologies collaboratives sont des hypomnémata dialogiques. Si j’étais professeur de collège, j’essaierais de créer un réseau social de ma classe, par exemple. Pour cela il faudrait créer des cours spécialisés, mais qu’il faudrait d’abord dispenser aux enseignants eux-mêmes.»
La recherche, également à la traîne
Peut-être ne le savez-vous pas, mais la vie d’un enseignant d’université est divisée en deux : l’enseignement d’un côté, de l’autre, la recherche. Même moi, avec mon statut de PAST (maître de conférence associé), je dois faire de la recherche, c’est-à-dire participer à des conférences et publier ses résultats de recherche. Publier, pas dans mon blog, cela ne compte pas… Publier dans une publication scientifique. C’est ce que nous avons fait l’année dernière. J’ai appris par hasard que la publication avait eu lieu en fin d’année (pour une enquête sur Facebook du début d’année) mais je n’ai toujours pas un exemplaire sous les yeux !
En fait, ces revues scientifiques permettaient à un spécialiste d’un domaine de lire tout ce qui se publie dans sa spécialité. Je vous renvoie à l’article d’Hervé Le Crosnier : Libre-accès aux publications scientifiques repéré sur @-Brest.
Je dis «permettaient » car je ne comprends pas pourquoi ces publications ne sont pas encore mise « obligatoirement » en ligne… Seule explication : le système des revues scientifiques génère des bénéfices considérables actuellement ?
D’ailleurs, c’est à un tel point, qu’après nous avoir fait retirer les informations sur les chiffres de notre enquête dans notre article, on nous a « interdit » de publier les chiffres par exemple sur ce blog !
Quand je dis que l’université Française doit vivre et apprendre avec les médias sociaux, comme vous pouvez vous en apercevoir le chemin risque d’être encore long ! Pourtant, des journées comme celle sur les enjeux de la publication numérique pour la valorisation de la recherche de Grenoble (30 avril 2009) confirme l’importance de cette publication numérique !
J’aurais pu prendre l’exemple des actes des congrès et conférences… souvent payant. On est loin de l’ambiance qui règle lors des séminaires web 2.0 comme lors de la venue de mes amis Canadiens à Lille 🙁
Par extrapolation, d’autres questions méritent réflexion : les travaux des étudiants doivent-ils être mis en ligne ? Si vous connaissez mon blog, vous connaissez ma réponse 😉
Une citation pour terminer
«Je suis fils d’enseignant: j’ai eu la problématique enseignante et la pédagogie à l’école et à la maison, en même temps, y compris la nuit. Je sais qu’un enseignant, pour le meilleur et pour le pire, ne peut rien faire d’autre – c’est sa fonction, c’est sa nature, c’est son but et c’est son « droit » – que de tout transformer en matériel pédagogique. Donc, en tant qu’auteur, je n’y peux rien. Ça me fait plaisir quand c’est intéressant de mon point de vue, ça m’ennuie quand c’est inintéressant de mon point de vue. Je ne demande qu’une chose, c’est que personne ne s’imagine que je fais des livres pédagogiques et que personne ne s’imagine que je suis au service de l’enseignement.»
PONTI (Claude), L’école des lettres, n°4. J’ai découvert cette citation dans le blog vocespaginarum.
Mise à jour le 8 juin : Peut-on ne pas réseauter au doctorat?
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