Une année en enfer avec ma mère bipolaire

Jusqu'ici, je vous racontais le parcours d'une famille aidant pour une personne bipolaire. Nous avions cessé de conter ses aventures  (avec le COVID nous ne souhaitions pas encombrer les instances médicales et l'ARS avec cette histoire) seulement au mois d'août, l'une des filles de la famille a craqué. Elle a publié sur son blog un cri (écrit en liaison avec les autres membres aidants de la famille).
Il a donc été publié en premier sur un des comptes Mondoblog (RFI) avec le même titre : Une année en enfer avec ma mère bipolaire. 

Je me contente de republier ! 

Il y a environ un an, la descente aux enfers avec ma mère bipolaire commençait. Une dégringolade d’autant plus rude pour moi qui rentrais d’une année paisiblement passée en Lituanie.

Retour en août 2019. Depuis plusieurs mois déjà, nous remarquons que ma mère bipolaire est en train de basculer en phase haute (même moi depuis la Lituanie). Après un passage en Ukraine, en Biélorussie, puis en Pologne, me voici de retour au bercail. Je ne le sais pas encore, mais ces vacances anticipées sont plus que salvatrices au vu de la tornade qui m’attend à la maison.

Ma mère bipolaire, ça ne va pas, on le voit. À force on connaît quand même les signes avant-coureurs (elle est bipolaire depuis 1980). Faut-il ne pas partir en vacances, pour éviter que ça ne dégénère ? Non non, le psychiatre a indiqué à mon papa que ça pouvait lui être bénéfique. Soit. À cette époque, on l’écoute encore le corps médical.

Départ en vacances avec une bipolaire

Je passe les pires vacances de ma vie, si l’on peut encore appeler ça des vacances. C’est plutôt de la garde de personne bipolaire qui ne veut en faire qu’à sa tête. Tous les jours, ça explose. Entre autres faits marquants, une randonnée de 2 h qui au final durera plus de 5 h, car Madame (ma mère) a décidé de s’agenouiller à chaque petite fleur pour la prendre en photo, sous le regard interloqué des personnes que nous croisons.

Elle devient même connue : «Ah oui, la dame qui prend tout en photo !». Oui, cette même dame qui se plaint que ses filles ne l’attendent pas (nous randonnions en montagne). Je réussis à me faire traiter de tous les noms, il semblerait que je sois une fille indigne (on verra par la suite qui est la plus indigne, la fille ou la mère). Quand papa explique à ces mêmes personnes que Madame est bipolaire, en général, ils se confondent en excuses et nous souhaitent bon courage…

Le clou du spectacle reste quand même le jour où, après nous avoir suppliés de la laisser seule une journée, ma mère souhaite parler à mon père en tête à tête parce qu’elle a une surprise pour lui. Dans la voiture, on s’attend au pire avec ma sœur. Et on fait bien.

Dans le village où nous logeons, ma mère bipolaire nous explique la bouche en cœur vouloir acheter une maison, un ancien presbytère délabré transformé en hôtel où tout est à refaire. Je manque de m’étrangler, nous avons déjà une maison de campagne dont on n’arrive pas à s’occuper. Dans une phase maniaque précédente, elle avait déjà voulu acheter un moulin à eau en ruines.

On prend nos cliques et nos claques et nous voici de retour à Lille, car ces vacances ne peuvent plus durer. Je vous épargne les noms d’oiseaux dont on se fait traiter par ma mère pendant ces quelques jours en Auvergne. Des jours au cours desquels nous avons surtout utilisé le téléphone pour appeler les infirmiers psy. de Lille (ce qui avait été évoqué en parallèle avant le départ : «En cas de problème, vous pouvez nous appeler»).

Première hospitalisation en établissement psychiatrique

23 août 2019. La voici la date anniversaire. En effet, suite à notre retour à Lille, nous sommes conviés à une réunion avec une psychiatre. Coup de massue : Madame envisage de partir à Strasbourg et les médecins psychiatres l’autorisent à ne pas prendre de traitement.

La réunion s’éternise et arrive ce qui devait arriver : ma mère a pété les plombs devant la psy, comme elle avait l’habitude de le faire avec nous depuis quelques temps. Devant cet état, la psychiatre l’hospitalise. Elle nous demande de signer la document pour l’hospitalisation sur demande d’un tiers. Je m’en charge. Nous apprendrons seulement plus tard que ce n’est pas obligatoire. Si seulement on savait ce qui nous attendait… La descente aux enfers ne faisait que commencer.

En membres de la famille attentionnés, nous rendons régulièrement visite à ma mère à l’hôpital psychiatrique. Nous nous heurtons rapidement à plusieurs problèmes, malgré notre expérience des hospitalisations précédentes depuis le milieu des années 2000.

Bipolaire en phase maniaque

Lors des rencontres avec un psychiatre dans les mois qui suivent, celui-ci nous indique que les milliers d’euros dépensés par ma mère chaque mois ne sont pas alarmants, seul compte le sommeil de Madame. Mais lorsque nous lui indiquons que nous la voyons régulièrement connectée sur Facebook ou autre à des heures avancées de la nuit, ça ne semble pas plus le perturber.

Un jour nous nous organisons pour accueillir notre mère bipolaire : elle doit venir manger chez nous à midi (une autorisation spéciale est nécessaire car elle est toujours hospitalisée sous contrainte). Nous arrivons à l’hôpital et devons l’attendre. Oui, Madame n’est pas à l’hôpital.

Un quart d’heure, une demie-heure. Toujours la même réponse : Madame arrive. Oui, bah, en attendant, c’est nous les couillons qui sommes venus avec quelques minutes d’avance. En réalité, elle a profité de l’autorisation spéciale de sortie pour faire une balade en ville.

Une heure plus tard, Madame arrive (enfin), la fleur au fusil. Elle prétexte avoir mal à la jambe et donc ne pas pouvoir venir chez nous en voiture, elle veut absolument prendre le métro (2 km de marche environ, même avec le mal de jambe). Oui, oui, je n’ai pas fait d’inversion, c’est ce qu’elle nous a dit. On essaye de lui faire entendre raison, mais rien n’y fait.

On aborde donc le psychiatre de service qui la suit : «Ah mais moi je ne peux rien faire pour vous, il faut trouver un compromis». Le compromis est vite trouvé : on se retrouve rapidement dans la voiture sur le chemin du retour, sans ma mère.

Une autre fois, nous demandons lors d’une réunion un soutien psychologique, comme cela nous l’avait déjà été proposé. «Ah, mais on ne peut rien faire pour vous ! Débrouillez-vous ! Il y a plein de psychologues et psychiatres en ville.» Ça confirme qu’on en tue 3 pour en sauver une (expression de mon papa).

Secret médical

Une après-midi, comme à l’accoutumée, nous téléphonons à l’hôpital.

«Oui, bonjour, j’aimerais parler à ma mère, pour prendre de ses nouvelles.
— Ah, vous ne pouvez pas !
»
Incompréhension… Pourquoi ?
«Je ne peux pas vous la passer et je n’ai même pas le droit de vous dire si elle est là… C’est le secret médical.»

C’est donc le même secret médical que lorsque nous avons demandé des informations concernant la mise en place d’une protection juridique des majeurs (curatelle ou tutelle) pour un bipolaire, dans un cadre général. On nous a répondus qu’il était impossible de nous renseigner, car il s’agit là de secret médical. Et de toute manière, le psychiatre nous a dit être au-dessus de la justice. Ça annonce la couleur…

Passage en famille d’accueil et escapade strasbourgeoise

Quelques jours plus tard, nous comprenons pourquoi ma mère n’était plus à l’hôpital. Elle est en « famille d’accueil ». Bon, ça, on connaît, elle y a déjà été. Sauf qu’on ne s’attendait vraiment pas à la suite : la famille d’accueil est en réalité de la famille très éloignée qui l’accueille. Elle est en Alsace. Gloups…

On a au moins expliqué à cette famille ce qu’est la bipolarité ? Ah bah non… La pauvre dame a plus de 80 ans. On s’excuse auprès d’elle pour le dérangement comme d’autres semblent incapables de le faire.

Nous apprenons quelques jours plus tard qu’elle est hospitalisée à Strasbourg. Là-bas, c’est un peu plus stricte, elle doit se plier aux règles. Mais à ma mère, ça ne lui convient pas ça, non. Il vaut mieux retourner à l’endroit où le patient est roi. C’est top quand même cette garantie de revenir, la fidélisation des patients…

Ma mère demande donc à être rapatriée à Lille. Elle se ventera plus tard d’avoir été raccompagné gratuitement à Lille avec un chauffeur privé et une dame de compagnie… Ce qui au final à un coût !

Retour à Lille… en soins libres

Mais à Lille, à peine entrée dans la clinique qu’elle demande à être en soins libres (et l’obtient, comme toujours). Elle peut donc sortir à tout moment et quitter le centre médical selon son choix.

Quelques jours plus tard, alors qu’elle vit on se sait trop où, elle souhaite passer à la maison pour échanger avec nous sur de fumeuses théories du complot et une pseudo-infiltration contre le monde psychiatrique (avec poursuite de voitures, crimes organisés, Illuminati… un vrai Blockbuster à l’américaine).

Elle nous fait la conversation pendant des heures (oh douce logorrhée d’une maman bipolaire !). Elle finit par hausser le ton et donner une claque à ma sœur. Nous appelons le SAMU qui la raccompagne dare-dare à l’hôpital.

Madame est capable de gérer seule

Oui mais voilà, un mois plus tard, le 10 décembre, nous sommes à nouveau conviés à une réunion avec le «docteur Compromis» (vous vous souvenez ?). Il nous annonce qu’à partir d’aujourd’hui, nous n’aurons plus de renseignement concernant notre mère. Elle a sa vie, nous la nôtre. Nos chemins se séparent. Elle est capable de gérer sa vie seule.

Et dire que ce même docteur a expliqué dans un article inclure la famille dans le processus de soin de ses patients (dans sa clinique 10 lits sont de trop pour lui !). J’en tombe des nues… Mais comprenez bien, ma famille n’est pas comme les autres : nous sommes des personnes toxiques. Bientôt, je serai vénéneuse…

On n’arrête pas de sous-entendre que c’est de notre faute si ma mère est bipolaire en phase high (merci pour la culpabilisation alors que les temps sont déjà assez durs comme ça). À l’époque, j’avais encore une once d’espoir qu’elle se remette rapidement de cette phase de la maladie… Petit à petit, tout s’estompe.

Notre seul droit : ne rien savoir concernant ma mère. Les renseignements se font plus rares. Nous apprenons par hasard qu’elle vit à Marseille. 

Bagages abandonnés

Nous voici désormais au mois de mai 2020. Nous recevons un coup de fil de la police. Ils ont retrouvé des bagages de ma mère sur la voie publique dans la banlieue lilloise. Sûrement le jeune dont elle s’est amouraché (il a mon âge) qui les a mis là après une dispute. Oui, elle est un peu cougar si vous voulez…

D’ailleurs il semblerait que ce jeune homme soit «bien plus intelligent et doué que toi, Clara… à côté de lui t’es une sous-merde.» Ah bah merci… Aux dernières nouvelles je suis encore ta fille. Quoi que, à force, je me demande si j’ai réellement une mère, car plus le temps passe et moins j’arrive à discerner en quoi elle a joué un rôle de mère auprès de moi depuis ma naissance.

Bref, quelques jours plus tard nous récupérons les bagages, car les policiers n’ont pas réussi à la joindre. Bah oui, nous non plus on ne sait pas le faire. On donne le contact des services psy. qui sont censés la suivre. Mais eux non plus n’ont pas répondu à la police. Nous récupérons les bagages.

Problème financiers, nouvelle escapade dans le 6.3.

Au fur et à mesure, ma mère à du mal à financer les quelques milliers d’euros par mois nécessaires à ses frais personnels (oh trois fois rien, juste 4 000 € à 5 000 €). En avril, elle me demande de l’argent. Oui, à moi qui étudie. Pour lui financer ses conneries ? Non merci, qu’elle ne vienne pas pleurer juste pour ça, d’autant plus que je ne lui en dois plus.

Au mois de juin, je reçois un appel de Clermont-Ferrand. Je ne connais personne là-bas, étrange… «Oui, bonjour, ce sont les urgences psychiatriques de Clermont.» Elle sera hospitalisée sans consentement, placée en chambre d’isolement sous contention. Ah, elle continue donc son Tour de France des hôpitaux psy. À quand le tour d’Europe puisque rien ne l’empêche de le faire ?

Certainement que nous avons dû influencer son comportement ces derniers temps (nous ne l’avons pas revue depuis le mois de décembre et nos échanges par messages sont devenus extrêmement rares)…

Juge des tutelles et accumulation des problèmes

Sans aucune aide, nous avons enfin réussi à déposer une requête auprès du juge des tutelles (fin février). En juin, nous sommes auditionnés par ce dernier : d’un côté ma mère seule et de l’autre Papa, ma soeur et moi. Le juge se laisse quelques mois pour émettre le jugement définitif. En attendant, il nomme un mandataire spécial.

Faut-il voir un lien avec le passage devant le juge ? Ma mère commence à avoir des impayés sur des factures courantes impactant notre vie et notamment le patrimoine familial. De même, elle suspend certains contrats nous concernant. À nous de reconstruire et de ramasser les miettes.

Et d’en prendre «plein dans la gueule» au passage. Car lors des échanges avec les différents services, nous sommes en général pris pour des cons, des incapables, des fainéants, qui vivent au crochet de la pauvre Madame… Au final personne ne peut nous aider ! Sans parler du temps perdu !

Par exemple, plus de 4 h 30 d’échanges téléphoniques avec une société d’assurance pour au final prendre simplement 2 assurances auto ! Mais l’histoire n’est pas terminée… On doit encore rencontrer un conseiller dans une agence pour finaliser le reste ! Tout cela car Madame raconte son histoire, ses fantasmes… Loin de la réalité mais sans dire qu’elle est sous sauvegarde de justice ! Et on l’écoute.

Mandataire spécial pour un bipolaire

Août 2020. Les premiers contacts avec le mandataire spécial en qui nous avions mis beaucoup d’espoirs (comme à chaque étape). Désillusion rapide… Rien ne semble s’arranger. Le mandataire arrive entre autres à me dire que si j’arrive à faire des études, mais ai du mal à trouver des informations afin d’effectuer une requête auprès d’un juge, il y a un hic quelque part. Je vous prie de m’en excuser, mais je n’ai pas fait d’études de droit moi…

Ma mère vit désormais officiellement à la maison de campagne (son ancienne maison avant de rencontrer mon père), elle peut donc faire ce qu’elle veut là-bas, même détruire mes affaires si elle le souhaite. Par contre, à Lille où je vis, je n’ai pas le droit de toucher aux siennes. Il n’y a pas comme qui dirait une incohérence ?

De toute manière, «elle a le droit de dilapider son argent et son patrimoine», dixit le mandataire spécial. Il ne peut rien faire. Rappelons seulement que mes parents son mariés et aucune procédure de divorce n’est en cours !

Petite parenthèse concernant le domicile officiel de ma mère à la maison de campagne, d’après les dires du mandataire spécial : «Madame est en partance tout le temps». Réside-t-elle réellement là-bas ?

De plus, Madame souhaite récupérer une voiture dont elle est co-propriétaire avec mon père. Mais celle-ci ne veut pas venir la chercher chez nous. Nous devons donc jouer les taxis pour conduire la voiture devant le bâtiment du mandataire spécial. Pour montrer notre bonne volonté, c’est ce que nous faisons… 

Enfin, dernier rebondissement, Madame refuse de payer mes études, mon alimentation ou quoi que ce soit me concernant alors que je n’ai pas de revenus.

Merci maman, merci de me faire vivre tout ça à seulement 20 ans. Merci pour les nuits de quelques heures passées à se triturer l’esprit, merci pour les journées où il est impossible de se concentrer, merci pour les larmes versées. Tu vas réussir à nous faire avoir des cheveux blancs avant l’heure, mais merci, car maintenant, je suis parée pour le reste de la vie.

Heureusement qu’on est à trois dans cette galère, à se soutenir mutuellement. Sans papa et Yseult (ma sœur), je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui.

Si vous voulez en savoir plus, nous avons commencé le récit de nos péripéties en détail sur les-zed.com. Si des journalistes sont intéressés, qu’ils n’hésitent pas à me contacter par mail à l’adresse clara.delcroix99@gmail.com ou par téléphone au 06 52 22 92 78.

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